Crédit immobilier : faut-il avoir peur de la hausse des taux ?

Après une accalmie sur le front des taux d'intérêt des prêts à l'habitat, c'est un léger frémissement - à la hausse - qui s'amorce en ce début d'année. Un constat dont témoignent plusieurs professionnels du courtage immobilier à la réception des baromètres de leurs banques partenaires.

Ainsi, le courtier Empruntis atteste d'une remontée de 15 centimes en moyenne, toutes durées confondues, en ce début février. ​Certains barèmes restent cependant stables. Et seul un de ses partenaires affiche encore des taux en recul. Par l'intermédiaire de ce réseau, un prêt moyen sur 20 ans se négocie désormais à 1,10 % (+ 10 centimes en un mois) tandis que sur cette même durée, le taux minimum accordé aux meilleurs profils d'emprunteurs demeure à 0,65 %.


Contexte inflationniste

De même, le courtier Pretto observe, dans les premiers barèmes des taux immobiliers de février, une augmentation de 0,1 % par rapport à janvier. En cause d'après lui, le contexte inflationniste - l'inflation a progressé de 2,9 % sur un an en janvier selon les estimations provisoires de l'Insee - et la remontée constante depuis le début de l'année de l'OAT [Obligations Assimilables du Trésor] 10 ans. Négatif il y a quelques semaines, cet indicateur est repassé en territoire positif depuis et s'établit à 0,75 % au 10 février.

Il est courant de dire que ces titres d'emprunt émis pour une durée de 10 ans par l'Etat français afin de financer ses besoins à long terme servent de référence pour la fixation des taux fixes des crédits immobiliers. En réalité, « établir un lien entre l'évolution de l'OAT 10 ans et celle des taux du crédit immobilier est simpliste, car si l'on regarde sur longue période la corrélation est imparfaite », rectifie Olivier Lendrevie président de Cafpi et ancien directeur général adjoint de la BRED.

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Concrètement selon lui, l'argent déployé par les établissements financiers pour octroyer des crédits immobiliers provient à 80 % d'un « recyclage » de l'argent sur les dépôts à vue et les comptes épargne du type livret A. Or, conséquence de la crise sanitaire, les ménages ont énormément thésaurisé. Et cette épargne Covid, toujours conséquente, coûte cher aux banques.

« Tous les soirs, les banques doivent redéposer ces liquidités à la Banque centrale européenne, qui fait office de banque des banques et qui taxe actuellement ces dépôts », explique-t-il. En effet depuis 2016, le taux directeur ou taux de dépôt de la BCE est négatif, actuellement à - 0,50 %. La BCE veut inciter les banques à prêter coûte que coûte et à relancer l'économie. Un changement de politique de la part de la BCE n'est pour l'heure pas à l'ordre du jour.




Changement de psychologie

En conséquence, il est plus avantageux encore aujourd'hui pour les banques de réallouer ces capitaux aux crédits immobiliers. La petite remontée actuelle des taux du crédit immobilier tiendrait davantage à la revalorisation du Livret A de 0,5 % à 1 % depuis le 1er février. Ce qui coûte cher aux établissements financiers.

Enfin, pour les 20 % restants, développe Olivier Lendrevie, la politique de financement du crédit immobilier est variable d'une banque à l'autre. Certaines qui n'ont pas suffisamment de ressources propres empruntent sur le marché auprès d'institutionnels sur des durées longues. De ce point de vue, le taux d'emprunt est plus ou moins corrélé avec celui de l'OAT 10 ans. Donc il y a en effet un lien avec cette référence, mais celui-ci reste ténu.

Reste que la remontée de l'OAT à 10 ans n'est pas neutre. Elle est révélatrice de l'évolution des anticipations des acteurs financiers. « En prenant en quelques jours 40 points de base et en revenant de fait sur le seuil des 0,70 %, les rendements de l'OAT 10ans sont désormais sur des niveaux qui avaient cours en janvier 2019. Le changement de la psychologie de marché est majeur », affirme Alban Lacondemine, président fondateur d'Emprunt Direct. Les opérateurs sur les marchés de taux tablent ainsi sur la fin des politiques ultra-accommodantes des banques centrales et sur un rebond des taux directeurs.

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Remontée des taux, mais aussi prix immobiliers toujours haussiers et resserrement des conditions d'octroi du crédit , la fin du crédit facile a-t-elle sonné ? Pas d'inquiétude dans l'immédiat défendent des professionnels. « Le durcissement des conditions de crédit n'a pas, pour le moment, provoqué une réelle inversion de la tendance. Il faudrait une importante hausse des taux pour créer un choc et entraîner un retournement du marché », estime Philippe Crevel, directeur du Cercle de l'Epargne dans la lettre du Cercle de l'Epargne de février.

D'ailleurs les spécialistes du courtage ne croient pas, hors circonstances exceptionnelles, à une remontée forte et brutale des taux cette année. « On peut s'attendre à un petit mouvement de 20 à 30 centimes de plus en moyenne qu'en 2021 », prédit pour sa part Olivier Lendrevie.

Dans un contexte inflationniste, et alors que la crise sanitaire perdure, l'immobilier reste une valeur refuge. Selon Vincent Cudkowicz, directeur général de bienprévoir.fr et de Primaliance, « avec une inflation à 4 %, hors mesure de soutien du gouvernement au pouvoir d'achat, il est urgent que les Français adaptent leur stratégie d'investissements entre leurs placements à faibles rendements et ceux qui permettent de dompter l'inflation. Aujourd'hui, l'immobilier et les marchés actions sont les seules solutions qui permettront aux Français de se dégager de l'effet ciseau « taux faibles/inflation ».

Les passoires thermiques sont-elles plus difficiles à financer ?

Des courtiers en ligne commencent à percevoir le durcissement des conditions de financement des banques de l'achat immobilier d'un bien considérés comme une passoire thermique (étiquetés F, G ou E dans les diagnostics de performance énergétique ou DPE).

« Ce n'est pas un non catégorique, explique Olivier Lendrevie président de Cafpi, mais la banque demande désormais que le financement intègre la capacité à réaliser des travaux afin que le logement sorte de cette catégorie « toxique ». » Ces nouvelles exigences touchent davantage l'investissement locatif que l'achat de la résidence principale. Mais, pour cette dernière, « l'établissement prêteur sera plus exigeant sur le montant de l'apport personnel, de 15 % à 25 % de la somme empruntée contre 10 % en règle générale, considérant que le bien va perdre de la valeur s'il n'est pas rénové. Or, si l'emprunteur est défaillant pour le remboursement du prêt, c'est la banque qui court le risque d'une revente avec une moins-value due à ce mauvais DPE. »


Quels taux début février ?

Taux moyens et meilleurs taux

15 ans : 1 % ; 0,85 %

20 ans : 1,12 % ; 0,98 %

25 ans : 1,28 % ; 1,11 %

Source : Pretto, au 2 février 2022 selon les grilles des banques.

Par Anne-Sophie Vion

Publié le 14 févr. 2022 à 7:00

Mis à jour le 14 févr. 2022 à 11:07

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